Les effets de réalité des sciences de la communication

Par Rémy Rieffel, Érik Neveu
Français

Résumé

Les travaux théoriques en sciences sociales ne demeurent pas confinés dans l'espace clos du monde savant. Ils sont progressivement incorporés dans les pratiques et les usages, réappropriés par certains acteurs sociaux, et produisent, par conséquent, des «effets de réalité» très palpables. Les sciences de la communication constituent, à cet égard, un analyseur privilégié de ce phénomène. Le discours sur la communication apparaît non seulement comme une nouvelle mythologie des Temps Modernes mais est, en outre, à l'origine d'au moins trois effets de réalité : l'enracinement de la croyance en la toute-puissance de la communication (dans le champ politique, économique et culturel), le remodelage de certaines logiques professionnelles (dans les entreprises ou chez les professionnels de la politique) et la création de nouvelles filières de formation en la matière (à l'Université et dans les écoles privées). L'étude des médiations par lesquelles passent ces effets dans la société contemporaine peut donner lieu à deux types d'interprétation. La première, par le biais du «modèle mécaniste», met l'accent sur la diffusion directe et linéaire du savoir vers le grand public. Mais la faiblesse statutaire du mode académique (en sciences de l'information et de la communication), le brouillage des frontières entre chercheurs et praticiens ainsi que la complexité des phénomènes de réception des messages révèlent les limites hermétiques d'un tel modèle. Seule une explication du type «modèle de la concurrence» permet de rendre compte de l'automatisation croissante du discours de certains médiateurs et professionnels (journalistes, publicitaires, conseillers en communication, etc. ) et de l'intensité des luttes d'influence qui s'instaurent entre scientifiques et praticiens. Un nouveau champ stratégique, à l'intersection des deux pôles, émerge peu à peu : il semble consacrer, pour l'instant, le pouvoir des médiateurs les plus médiatisés.

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