Ethnographies des agents conversationnels

Ethnographies des agents conversationnels
N° 220-221, 2020/2 - 324 pages

Assistants vocaux, chatbots textuels, robots humanoïdes : la diffusion croissante d’agents conversationnels dans la société fascine, effraye, soulève des questionnements d’ordre philosophique, éthique, juridique, technique, politique et moral. Présents à travers une diversité d’artefacts, ces agencements technologiques sont capables de produire des paroles ou bien des écrits pendant des interactions avec des humains et de simuler des compétences humaines, des rôles sociaux ou encore des formes de relations sociales. Depuis le milieu des années 2000, nous assistons ainsi pour la première fois à des rencontres inédites « grandeur nature » entre des formes de l’intelligence artificielle conversationnelle et des utilisateurs ordinaires dans leur vie quotidienne, en dehors des murs des laboratoires. Les agents conversationnels ont d’abord rejoint les rangs des produits offerts par les plus importants acteurs du numérique : Google, Microsoft, Apple ou Amazon proposent des enceintes connectées pour l’environnement domestique capables d’interagir vocalement avec les utilisateurs. Mais ces agents ne sont que le fer-de-lance d’un marché plus vaste, qui comprend également les robots conversationnels textuels (chatbots) prenant en charge différentes interactions de service et les robots humanoïdes. Utilisés massivement dans l’assistance technique et commerciale, les chatbots peuvent par exemple accuser réception d’une requête d’un client, repérer le problème posé et rechercher la solution dans des bases de données. Si les services rendus par ces robots conversationnels les rapprochent d’autres applications web, ils s’en distinguent néanmoins par l’utilisation du langage naturel. Enfin, venant s'incarner dans des organismes artificiels matérialisés – les robots humanoïdes – les agents conversationnels se sont enrichis de modalités diverses, par exemple les pointeurs ou les possibilités de mouvement permettant de désigner un objet dans l'environnement ou encore la capacité à détecter la présence de personnes, de reconnaître des émotions et d’exprimer des simulacres émotionnels. Aujourd’hui, les premiers robots d'accueil ou d'assistance fabriqués par cette nouvelle informatique « affective » commencent à passer les limites des laboratoires pour entrer dans les musées ou les situations commerciales. Comment penser les conséquences sociales d’une telle diversité à la fois de formes technologiques et des situations sociales dans lesquelles l’IA conversationnelle vient s’inscrire ? C’est ce défi que le présent dossier de Réseaux se propose de commencer à relever en rassemblant un premier ensemble en français de travaux empiriques sur les interactions avec les agents intelligents. Comment interagit-on avec des agents artificiels ? Quelles relations les personnes développent-elles avec ces machines parlantes ? Quel sens et quelle place ces machines prennent-elles dans notre vie quotidienne ? Comment reconfigurent-elles nos activités à la maison, au travail, dans l’espace public ? Comment nous affectent-elles et quelles formes d’attachement peuvent-elles susciter ?

Les enquêtes réunies dans ce dossier de Réseaux montrent que la recherche en sciences sociales gagne à se saisir empiriquement – avec le regard ajusté aux pratiques propres aux démarches ethnographiques – de la diversité des contextes, des interactions, et des projets auxquels les trois principaux types d’agents conversationnels sont aujourd’hui associés. Pour penser la complexité des infrastructures technologiques associées à ces applications de l’IA et leurs conséquences sur notre vie en société ce numéro propose de s’appuyer sur les résultats d’enquêtes portant à la fois sur la conception, l’appropriation ou les interactions avec ces différents agents. Résolument empirique et descriptif, le parti pris de ce dossier est également pluraliste en accueillant une diversité de manières de faire des ethnographies de l’IA. Réunissant des travaux ancrés dans l’ethnométhodologie, l’analyse conversationnelle, la vidéo-ethnographie, la linguistique interactionnelle, la sociologie économique ou l’anthropologie sociale il témoigne de la fécondité des approches observationnelles pour prendre la mesure des transformations technologiques et sociales contemporaines à l’échelle des pratiques.

Coordonné par Marc Relieu et Julia Velkovska

Illustration de couverture : © Brett Jordan, bit.ly/3dDsQjN

Présentation

Dossier : Ethnographies des agents conversationnels

Pages 21 à 45

« Tisser des liens »

Par Justine Cassell, traduit de l’anglais (US) par Julia Velkovska, et révisé par Marc Relieu
Pages 113 à 150

Répondre aux questions d’un robot

Par Karola Pitsch, traduit de l’anglais par Marc Relieu, et révisé par Julia Velkovska

Varia

Notes de lecture